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Les affres de la pauvreté : le parcours d'Irène au Rwanda (1/2)

Irène

Je suis mère de deux enfants : un garçon de 16 ans et une fille de 12 ans. Je n’ai pas accédé à l’enseignement secondaire public à cause de l’équilibre régional et ethnique en vigueur à l’époque de mon enfance. Mes parents étaient très pauvres, nous n’avions pas accès aux besoins essentiels. Ils ne pouvaient pas non plus me payer une école privée, malgré le bon niveau que j’avais atteint. Sans études, mon avenir était déjà gâché, je ne voyais plus quoi faire. J’ai demandé à mes parents la permission d’aller travailler comme domestique pour gagner de l’argent. À dix, nous n’avions pas où dormir et mon intention était de construire une maison.

Je fus engagée comme bonne auprès du directeur d’une société de transport. Nourrie, logée, il me payait en plus 4 000 francs. C’était beaucoup à l’époque et je voyais mon rêve se réaliser. J’envoyais tout mon salaire à ma mère, croyant qu’elle le mettrait de côté pour moi et pour mon projet. Après trois mois, mon patron me proposa comme domestique à son ami qu’on venait de nommer ambassadeur en Ethiopie. Nous y avons passé une année avant de retourner au Rwanda, mon chef venait d’être appelé à d’autres fonctions.

Tout mon salaire fut encore une fois versé à ma mère, je pensais que j’avais suffisamment économisé pour commencer les constructions. Je me rendis à la maison pour négocier avec les maçons, mais à ma surprise, ma mère me dit que tout l’argent avait été dépensé pour nourrir mes frères et sœurs. En d’autres termes, je venais de passer tout ce temps à travailler pour rien et décidais d’arrêter le travail pour me consacrer aux travaux agricoles.

Après cinq ans, je fus mariée à un homme qui me donna un fils. Cet homme resta avec moi pendant une année et me répudia sous prétexte qu’il ne recevait aucun cadeau de ma famille. Retourner chez mes parents était la seule solution qui s’offrait alors à moi. Avec deux bouches de plus à nourrir, dans une situation de très grande pauvreté, ma mère commença à me harceler et à m’accuser de tous les maux. Mon avenir et celui de mon fils étaient encore une fois en danger.

Après le sevrage de mon fils, je le laissai malgré tout auprès de ma mère et partis chercher un emploi. Je fus engagée comme serveuse dans un bar. Je rentrai chaque soir à la maison avec un peu d’argent. Pour cette raison, ma mère commença à se calmer. Mais mon salaire ne suffisait pas pour satisfaire tous les besoins de la famille. Je dus chercher des hommes à fréquenter pour gagner un peu plus. C’est comme ça que je suis devenue, petit à petit, la femme de tous les hommes.

En 1992, je tombai enceinte avec un homme qui semblait compatir à mon sort et qui proposait de me tirer hors de la prostitution. C’est le père de ma fille. Il s’est réfugié au Congo en 1994 et je ne l’ai plus jamais revu.

Après la guerre, on aurait dit que tous les hommes étaient soudain devenus fous. Ils s’adonnaient à la bière et aux femmes comme des ressuscités. C’était alors pour moi une opportunité d’en profiter. Un ancien client ouvrit un bar et m’engagea comme serveuse. C’était mon titre officiel ! Avec mon salaire et ce que je recevais des hommes, j’ai pu épargner 1 200 000 francs pour ouvrir mon propre bar. Les affaires marchaient bien, l’argent coulait à flots. Mais avec les bénéfices et une partie du capital, je décidai de construire une maison de trois chambres et des annexes.

Je venais de commettre une grave erreur, car mon avoir était alors seulement constitué de caisses vides et de verres cassés. Les affaires allaient inévitablement de mal en pis, les taxes et le loyer devinrent encore plus ingérables. J’ai dû fermer le bar, retourner à la maison et réserver le solde de mon compte à la nourriture de toute la famille. Je pus le faire pendant une année. Puis une fois mes poches vides, incapable d’acheter quoi que ce soit, ma mère oublia tout ce que j’avais fait pour elle.

Elle m’ordonna d’envoyer mes enfants chez leurs pères. Mais où se trouvent-ils ? Pourquoi me séparer de mes enfants ? Qui d’autre prendra soin d’eux mieux que moi ?  Quelle méchante mère ! Seigneur, que je ne sois jamais comme elle !

Ce récit est en deux parties. Pour lire la deuxième partie, cliquez ici.