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Les affres de la pauvreté : le parcours d'Irène au Rwanda (2/2)

Irène

Ce récit est en deux parties. Pour la première partie, cliquez ici.

La pauvreté, l’avenir de mes enfants… Je ne voyais plus comment m’en sortir et ne pouvais plus dormir. Je maigrissais à vue d’œil. En 2002, mes enfants ont été chassés de l’école à cause du non-acquittement des frais de scolarité. Que faire ? Croiser les bras et les laisser à la maison ? À qui demander assistance, quand même mes bons amis ne m’adressent plus la parole ? Les églises pouvaient peut-être m’aider. Mais laquelle, avec tous les péchés que j’ai commis ? Les ONG humanitaires aussi pourraient me venir en aide.

Mais laquelle ? Le lendemain, ma fille me suggéra d’aller voir l’Association FXB, puisqu’elle connaissait ses camarades pris en charge par l’organisation. Parfait, me dis-je ! Même si l’organisation ne fait rien pour moi parce que je ne suis pas sa bénéficiaire directe, Damascène fera quelque chose.

Je le connais depuis longtemps, même si je ne lui ai jamais parlé ouvertement de mes problèmes. Il me référa au responsable du projet qui discuta de mon cas avec les autres assistantes sociales. Elles me donnèrent de quoi payer les frais de scolarité et du matériel scolaire, et mes enfants retournèrent à l’école. J’étais satisfaite. Elles me demandèrent pourtant de revenir pour autre chose et nous fixâmes un rendez-vous. J’avais déjà développé une infection cutanée et les infirmières l’avaient remarquée. Elles en avaient sans doute deviné la cause.

Au rendez-vous, les infirmières me prirent à part et nous discutâmes de ma vie. Une question fut fatale : Irène, connais-tu quelque chose sur le sida ou sur ton statut ? Un rappel de mon passé !

Ma vie antérieure m’avait exposé à cette maladie. Si je ne l’ai pas, c’est qu’elle n’existe pas, répondis-je. Est-ce que du moins tu pourrais te faire tester pour savoir comment te tenir ? me demandèrent-elles. Il y a de la prophylaxie, des antirétroviraux qu’il est possible de prendre pour te remettre, le sida n’est plus un problème dans ce domaine. Les infatigables conseillères me persuadèrent d’aller à Kabgayi pour un test. Mais je ne voulais pas connaître le résultat. Je pensais être séropositive mais ne voulais pas qu’un médecin me le confirme. Mais il n’y a pas d’échappatoire. Il fallait que je le fasse.

Le lendemain, je concentrai tous mes efforts pour me lever tôt. À 7 h, j’étais avec l’agent qui préleva mon sang. Après une heure, la sœur responsable m’appela et me demanda : “Madame, comment réagiras-tu si ton résultat est positif ?” “Normalement ma sœur. J’ai été préparée à cela par les équipes FXB avant de venir ici.” “Eh bien ma pauvre fille, tu es séropositive, fais attention de ne pas contaminer d’autres personnes et de ne pas te contaminer davantage”.
En entendant le résultat, je fus un peu bouleversée, mais pas pour longtemps. Après tout, c’est ce que je pensais. Le contraire aurait été un miracle.

Quoi qu’il en soit, je devais annoncer la mauvaise nouvelle à ma mère et je le fis. Même si nos relations ne sont pas bonnes, elle avait tout de même le droit de connaître mon statut. Il semblait qu’elle n’attendait que cette annonce pour me renier complètement. Depuis ce jour, nous ne partageons plus aucun repas. Je vis seule avec mes enfants, elle ne veut même pas nous adresser la parole.

Elle raconte aux gens qu’elle a peur que je la contamine. Mon frère est prêt à me tuer. Un coup de massue suffirait à m’envoyer dans l’autre monde car je ne tiens que sur une jambe, une autre ayant été ligotée par le sida, aime-t-il dire ! Imaginez que ma famille me rejette et quelle peine cela me fait de vivre à l’écart. Être séropositive signifie-t-il perdre toute dignité humaine ?

Je suis retournée auprès de l’association FXB voir les conseillères pour leur parler de tous ces problèmes. Elles m’ont emmenée à Kabgayi pour des examens approfondis et j’ai commencé le traitement prophylactique. Lors de leurs visites à domicile, elles s’entretiennent en privé avec ma mère et je constate que son comportement avec moi change progressivement. Depuis à peu près six mois, je ne suis plus stigmatisée, même au sein de la communauté.

L’Association FXB m’a fait comprendre que je ne suis pas perdue pour de bon et que je suis encore utile à mes enfants. Progressivement, je reprends mes forces et prévois même de m’investir dans un petit commerce.

Je suis déjà membre d’une association de personnes vivant avec le VIH à Gitarama. Avec mes consœurs, je pense pouvoir rendre service à mes paires infectées ou affectées par le sida. Je craignais d’être reconnue officiellement séropositive. C’était évidemment une erreur, car tout le monde le voyait et le savait, même s’ils n’osaient pas me le dire. Je connais beaucoup de gens comme moi, et mon devoir maintenant est de les convaincre de se manifester et de faire le pas. J’ai le sida oui, mais il ne représente plus un fardeau depuis que je l’ai accepté. L’Association FXB ne s’est pas battue pour rien et je l’en remercierai éternellement.