Par Albina du Boisrouvray
Pour comprendre la révolution qu’a été la méthode FXB, il faut revenir à ses origines. Tout a commencé en 1991, lorsque j’ai décidé d’exporter, en Afrique, le programme que j’avais déjà bâti aux Etats-Unis : La Maison FXB. Elle offrait bien plus qu’une prise en charge médicale pour les orphelins du sida, eux-mêmes infectés. Elle repose sur le concept du Tender Loving Care – la conviction que ces enfants auront une vie meilleure et plus longue s’ils grandissent dans un cadre familial, entourés de tendresse et bénéficiant de soins attentionnés.
A Washington, puis en Thaïlande, en Colombie et au Brésil, nous avions créé ainsi des « Maisons FXB » dans lesquelles les orphelins infectés par le sida étaient entourés d’une équipe de professionnels du soin qui leur faisait office de nouvelle famille. Ce programme était la mise en action du paradigme de l’inextricabilité des liens entre l’accès aux droits de base et la santé du Dr Jonathan Mann. Avec FXB, je portais l’ambition de répliquer ce programme en Ouganda.
Mais lorsque nous sommes arrivés sur place, nous avons découvert une réalité bien différente : à l’inverse des Etats-Unis, les orphelins étaient des cohortes multiples, souvent pris en charge, selon la coutume africaine, par la famille élargie ou la communauté. Et ces personnes vivaient dans un contexte d’extrême pauvreté et de maladie, aggravé par le sida empêchant de travailler souvent et sans accès aux droits de base.

Une évidence s’imposa donc rapidement à moi : pour venir efficacement en aide aux enfants, il fallait urgemment venir en aide aux parents et aux proches.
En discutant avec les familles, j’ai décidé de créer un nouveau programme au plus près de leurs besoins et de leurs réalités. Il m’a paru évident que l’urgence était de les sortir de cette extrême pauvreté et qu’ils deviennent le plus rapidement possible autonomes économiquement et ainsi devenir des acteurs de l’économie locale.
Pour ce faire, il fallait innover, bousculer les modèles établis et faire preuve de créativité car, à l’époque, la grande innovation et l’obligation incontournable dans le milieu du développement était l’idée du micro-crédit du professeur Mohammed Yunus — qui a d’ailleurs obtenu pour cela le Prix Nobel de la Paix.
Il s’agissait de prêter aux familles une somme d’argent pour qu’elles puissent s’offrir un outil de travail et démarrer une activité commerciale pour sortir de la pauvreté. Les familles remboursaient ensuite peu à peu ce prêt et ses intérêts avec le fruit de leur labeur.
J’admire profondément cette innovation, mais elle ne pouvait pas s’appliquer dans notre cas car le contexte de sida rendait la situation extrêmement urgente : les personnes à la fois affectées par le sida et la grande pauvreté n’auraient jamais les moyens de rembourser un emprunt.
Par ailleurs, nous ne voulions pas nous transformer en une « banque ». Nous voulions que les familles gagnent du temps dans leur réussite économique et nous avons donc inventé une nouvelle méthode.
Et de cette transgression est née une révolution: au lieu d’un prêt, nous avons offert à chaque famille les éléments nécessaires à la création de leur entreprise, sans remboursement de capital ou d’intérêts.
En plus de ce don économique de départ, nous avons entouré ce programme du paradigme de santé publique du Dr. Jonathan Mann, professeur à Harvard.

L’approche de Jonathan Mann, qui met le lien sur le lien extricable existant entre la santé et l’accès aux droits humains de base, était limpide et visionnaire : la santé publique ne peut avoir un impact durable que si les facteurs sociaux et culturels — qui augmentent le risque de maladie et empêchent les gens d’accéder à leurs droits essentiels — sont traités simultanément : un logement sain, la nourriture, l’accès à l’hygiène et à la santé et l’éducation.
En ajoutant à ces droits essentiels l’aspect économique du don d’une activité génératrice de revenus, FXB a donc transformé ce paradigme de santé publique en un paradigme de développement.
Et c’est donc en Ouganda, à partir de 1990/1991, que nous avons démarré le projet pilote du modèle VillageFXB, qui a servi de laboratoire à cette méthode, que nous avons ensuite importée au Rwanda après le génocide et systématisée en une méthodologie que nous avons appliquée famille par famille.
La méthode est à la fois simple et pionnière : la première année, FXB offre simultanément à chaque famille une entreprise et l’accès à tous les autres droits essentiels.
FXB prend donc en charge 100% des dépenses liées à la nutrition, à l’éducation et à la santé la première année de mise en oeuvre du programme. Cette prise en charge totale de ces dépenses libère les familles de soucis financiers et de la lutte pour la survie quotidienne. Avec leurs besoins essentiels assurés, elles peuvent se lancer dans des projets avec l’énergie nécessaire pour améliorer leur autonomie. Comme me l’a si bien dit une femme en RDC : “Maintenant, je dors sur mes deux oreilles, je sais que FXB est là”.

La deuxième année, FXB n’offre plus que 75% de ces dépenses du budget familial, et la troisième année seulement 50%. Au début, cette approche permettait aux familles d’atteindre l’autonomie économique dès la quatrième année. Aujourd’hui, grâce à l’évolution du modèle VillageFXB, elles deviennent autonomes économiquement au bout de trois ans et peuvent elles-mêmes subvenir aux besoins des enfants en participant à l’économie locale et en continuant à prospérer après la fin du projet.
Des études ont démontré un pourcentage de réussite exceptionnel : 86% des bénéficiaires de ces VillagesFXB sont sortis de l’extrême pauvreté et le demeurent 4 ans après la clôture du projet.
Dans l’ouvrage « The Cost of inaction » (Le coût de l’inaction), le professeur Sudhir Anand a également démontré des chiffres de réussite similaires en étudiant nos VillageFXB au Rwanda.
Amartya Sen, professeur à Harvard et prix Nobel d’économie, a reconnu l’efficacité de notre travail.
Les chercheurs de l’Initiative conjointe de recherche sur les enfants et le VIH/sida (JLICA) ont également salué notre méthode dans leur rapport :
« Les Villages FXB montrent qu’en renforçant la capacité de la famille à subvenir à ses besoins par le biais d’un soutien intégré on obtient une amélioration durable du bien-être enfants »
En 2003, après plus de dix ans à avoir appliqué cette méthode, j’ai été félicitée par le Professeur Mohammed Yunus, le père du micro-crédit. Je me souviens encore de sa bénédiction, ce jour là au Forum économique mondial de Davos, lorsqu’il m’a tapoté le bras pour me dire : « Continue à faire ce que tu fais ! ».
En 2003 toujours, je rendais compte de notre approche et de nos succès dans les colonnes de l’International New York Times :
« Avant de lancer un programme en Ouganda en 1990, j’ai passé beaucoup de temps dans les villages à demander aux gens quel était le meilleur moyen de les aider. Ils disaient : « Si Pauline avait une vache, elle pourrait mettre du lait sur la table et vendre le surplus. » « Si Nite avait des graines, elle pourrait planter des légumes et les enfants mangeraient mieux. » « Si Margaret avait une petite boutique, elle accueillerait un autre orphelin. » Cette approche a porté ses fruits. Des subventions modestes, même de 100 dollars aux familles concernées, leur permettent de s’attaquer immédiatement à ces problèmes. »
C’est dans les années 2000 que notre méthode a été reprise par de grandes institutions comme la Banque Mondiale et d’importantes organisations comme la Ford Foundation ou Brac World. Il est regrettable que, parfois, certains oublient les origines de cette révolution et tentent de s’accorder les crédits de l’invention transgressive, mais nous sommes très fiers et très heureux pour les nombreux bénéficiaires.
Car c’est le symbole que FXB a rempli son rôle de petite ONG novatrice et pionnière : inventer des programmes locaux exemplaires qui ont ensuite été repris par d’autres organisations à l’échelle du monde entier.