Dorothée : Moi, Pygmée, entre les Tutsis et les Hutus
Dorothée
Récit retranscrit et présenté par Albina du Boisrouvray, fondatrice de FXB.
Je m’appelle Dorothée, j’ai environ 32 ans, je dis environ car dans mon pays, le Burundi, l’ethnie batwa dont je fais partie n’a pas de papiers officiels ni d’acte de naissance.
Notre extrême pauvreté, la discrimination que nous nous subissons et notre ignorance nous en excluent. On ne nous recense pas, il est convenu de dire que nous représentons plus ou mois 1% de la population burundaise. Du coup, comment avoir accès à d’autres droits ?
Nous sommes les Pygmées.
Répartis aussi en Ouganda, en République démocratique du Congo et au Rwanda.
Comment pouvons-nous nous défendre devant la justice ?
Il ne fait pas bon être Pygmée en Afrique
Les assistantes sociales de FXB nous ont appris qu’aucun de ces pays n’a ratifié une convention : la 169 de l’OIT, relative aux peuples indigènes et tribaux, qui constitue la base de la législation internationale pour les peuples autochtones en matière des droits de l’homme. Droits dont FXB nous parle beaucoup et insiste sur l’article 28 d’une autre convention : celle des droits de l’enfant.
Lorsque la Fondatrice de FXB, Albina, visite, elle insiste pour que les traductrices disent à nos enfants que notre pays a « ratifié » cette convention, c’est-à-dire a promis que tous les enfants, sans exception, ont droit à l’éducation et qu’il faut au moins le savoir pour si possible l’exiger. Car elle rappelle que le taux d’alphabétisation de notre pays est de 59,3 %.
Notre pays, le Burundi, compte paraît-il 11,5 millions d’habitants dont 65% vivent en dessous du seuil de pauvreté, ce qui était le cas de mon mari et moi avant que nous entrions dans le programme des Villages FXB.
Je viens d’une ville à une quarantaine de kilomètres au nord de Bujumbura la capitale – Bubanza -, cette ville est répartie en quatre zones dont une résidentielle, une administrative, une commerciale et une populaire d’où je viens. Mon mari aussi est natif de Bubanza, province rurale, il a aussi approximativement mon âge. Nous habitions à Gimbu, une colline habité par la communauté batwa. C’était mon voisin.
Avec la crise de 1993, Dieudonné, qui n’était pas encore mon mari, a fui très jeune vers la capitale Bujumbura pour atterrir à Buterere. Depuis les années 60, des affrontements et des massacres à caractère ethnique entre les Hutus, qui sont la très grande majorité de la population, et la minorité tutsi ont lieu très souvent.
Nous les Batwas sommes les premiers habitants des forêts équatoriales d’Afrique du Centre mais nous avons été déplacés et marginalisés dès le XIXe siècle par les agriculteurs, les pasteurs et pendant le déboisement massif de la période coloniale. Nous survivons aujourd’hui. Certains encore forestiers, d’autres pêcheurs, la plupart potiers. Mais en ville la poterie ne se vend plus car les ustensiles de cuisine sont en aluminium, nos pots traditionnels sont devenus inutiles.
Alors que la chasse et les activités connexes sont notre identité culturelle, économique et religieuse, les lois de ce qui est notre pays, le Burundi, ne nous reconnaissent pas ces droits de chasse ou de pêche.
Alors ne pouvant plus nous adonner aux activités traditionnelles, nous sommes contraints d’émigrer vers la grande ville : Bujumbura, dont les infrastructures ne suivent pas l’arrivée de tant de monde. Et c’est ainsi que lorsqu’en 2003 Dieudonné est revenu à Bubanza demander ma main, après notre mariage légal, nous sommes revenus ensemble vivre à Buterere, quartier dont la décharge centralise les ordures de tout Bujumbura.
Nous les Batwas, les Pygmées du Burundi, sommes considérés de manière habituelle comme des sous-hommes.
Notre mode de vie traditionnel de nomadisme forestier est considéré par certains comme une manière de vivre proche de celle des animaux, les aliments de notre nourriture sont considérés comme écœurants et tabous.
Les autres dépeignent notre mode de vie comme immoral et dépravé.
Du coup, nous sommes tenus à l’écart des endroits publics, on ne s’assied pas à côté de nous et on ne nous permet pas de toucher aux instruments de cuisine.
Bien que notre pays ait promis, paraît-il, l’éducation pour tous, ce fameux article 28 de la convention pour les enfants, très peu trouvent de l’argent pour l’école où ils sont soumis à des brimades et des discriminations de la part des élèves et parfois même des professeurs.
Les familles ont en outre souvent besoin des enfants pour le ramassage du miel, des récoltes et pour aller mendier.
Tout cela ne laisse pas beaucoup de temps pour un emploi du temps scolaire.
Quand on n’a pas de formation, on ne trouve pas de travail et cela renforce le mythe de notre manque d’aptitude et d’intelligence.
Cependant, notre assistante sociale nous dit de ne pas perdre espoir, que la situation évolue : il y a quelques étudiants batwas à l’Université du Burundi, plus d’une centaine en école secondaire et un nombre au-delà de 3 000 dans le primaire.
Comme la vie politique ne prévoit rien pour nous pour participer à la gestion du pays, on nous a informés que la cooptation, mais non l’élection, de trois d’entre nous au Parlement et trois autres au Sénat, bien que présence symbolique, est un premier pas vers la participation dans des commissions qui gèrent notre pays.
En attendant, Dieudonné Nuyonjuru devenu mon mari, lorsqu’il était célibataire, passait ses journées au marché central de Bujumbura, à porter les bagages des gens qui venaient s’approvisionner. Il gagnait un peu d’argent. Il pensait à moi et lorsqu’il a pu économiser 30 000 BIF, il a pu verser la dot et m’épouser.
Quand il m’a fait la cour pour m’épouser, il m’a raconté qu’il avait à Bujumbura un bon travail qui rapportait bien. Mais après le mariage, il a eu honte de faire le travail de porteur et nous n’avons plus eu de ressources. Nous vivions de la décharge de Buterere. La vie n’était pas facile, nous nous rendions chaque matin au dépotoir pour y trouver de quoi manger sur place et à la maison.
J’avais toujours des maux de ventre et je vomissais souvent. Je croyais que c’était des malaises de grossesse. Mais c’était dû au mode d’alimentation. Sans argent, je ne pouvais voir un médecin, et trois de mes enfants sont morts successivement. Les autres n’allaient pas à l’école où mon mari et moi ne sommes d’ailleurs jamais allés.
Là aussi, si nous essayions d’aller dans un centre de santé, nous étions mal reçus par les soignants et n’avions pas le droit de nous asseoir avec les autres patients.
Notre seul recours était notre médecine traditionnelle faite d’herbes et d’autres recettes mais qui ne guérit pas tout.
Depuis mon entrée dans le programme VillageFXB, tout a changé
En 2014, l’équipe de FXB est venue sur le terrain pour sélectionner les familles qui bénéficieraient du programme VillageFXB. Je pleurais, j’étais pleine de chagrin, je leur ai raconté mon histoire en pleurant : ils m’ont écoutée et je suis entrée dans le programme VFXB Buterere II.
Depuis, tout a changé dans notre famille. Le mode alimentaire déjà. FXB nous a fourni les vivres pendant neuf mois, j’ai reçu de la formation en nourriture et l’assistante sociale Gisèle a fait le suivi à domicile.
J’ai bien sûr tout de suite quitté la décharge publique, cet environnement qui ne me rapportait rien et me rendait malade, et FXB m’a donné ce qu’il fallait pour commencer un petit commerce. Je vends des denrées alimentaires et je vends des briques cuites que les riches de Bujumbura achètent pour construire leurs maisons.
Je tiens une épargne régulière au petit comptoir de la micro-épargne. Je vends 40 BIF pièce mes briques et le four donné par FXB en a déjà produit douze mille. De plus, je détiens actuellement, après deux ans, un peu plus de 200 000 BIF sur mon compte bancaire.
L’hygiène est apparue chez moi : je dors dans une chambre propre, je conserve mes ustensiles de cuisine sur une clef d’étalage et nous avons des toilettes et un poste de lavage des mains. Régulièrement, je m’occupe de mon hygiène personnelle et de celle de mes enfants. Que de mouches il y avait chez moi ! Maintenant, j’ai maîtrisé cette invasion grâce à la propreté du matériel, des denrées et de mes mains régulièrement lavées.
J’avais beaucoup de conflits avec mon mari, tout est rentré dans l’ordre. Ensemble nous nous occupons du développement de notre famille. Trois enfants sont allés à l’école grâce au soutien de FXB et réussissent très bien. Ma fille de 12 ans, Francine, étudie en deuxième année du primaire.
Le voile de la pauvreté qui couvrait mon visage est maintenant déchiré. Je souris tout le temps et j’ai confiance en mon avenir. Je suis tranquille. J’ai un projet pour m’acheter un champ pour la culture vivrière. Maintenant je suis à même de ne pas utiliser toute mon épargne car je me pense éligible pour un microcrédit et je serai une des rares Batwas à posséder une terre au Burundi.
Note d’Albina du Boisrouvray
Dorothée m’a demandé de dire que pour elle c’est Dieu qui a amené FXB dans sa maison et elle veut remercier vivement l’association FXB et ses donateurs, la Fondation Arcanum, le Fonds Corbier et Swim for Life « qui m’ont, dit-elle, rendu la vie et la dignité ». « J’ai retrouvé ma dignité, ma famille mange trois fois par jour et ne partage plus la nourriture avec les chèvres et les cochons de la décharge. Je suis sûre que quoi qu’il arrive je ne retournerai jamais à la décharge, grâce à FXB, j’ai tout appris mais surtout à vivre dignement. »