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"Au Burundi, les femmes rurales sont le pilier des familles et le moteur de l’économie"

Gisèle Ndereyimana

Gisèle Ndereyimana, directrice des programmes de FXB Burundi, évoque les multiples défis auxquels font face les femmes rurales dans ce pays, qui est le 4ème pays le plus pauvre au monde avec près de 2/3 de ses habitants vivant en dessous du seuil de pauvreté. 

Avec près de 90% de la population vivant en zone rurale, le Burundi dépend intimement de l’agriculture et du rapport à la terre pour son développement, sa croissance et le bien-être de ses habitants.

Les femmes, piliers du développement rural au Burundi

Représentant environ 55% de la main d’œuvre, les femmes burundaises constituent le cœur battant de l’économie du pays, et sont particulièrement actives dans le domaine agricole, tandis que d’autres secteurs, comme la construction, demeurent traditionnellement réservés aux hommes.

« Les femmes rurales du Burundi constituent le pilier des familles et le moteur de l’économie », explique Gisèle Ndereyimana, psychologue de formation et directrice des programmes FXB depuis 2012. « Elles travaillent, souvent comme domestiques, dans les champs du matin au soir, et peuvent à peine profiter d’une minute de repos du lever au coucher », ajoute-t-elle, soulignant qu’elles doivent en plus assumer la charge des enfants, du ménage et de l’ensemble des tâches liées à l’entretien de la maison.

« Elles partent à l’aube avec leurs enfants sur le dos, et rentrent le soir épuisées, devant encore s’occuper de l’approvisionnement en eau de la famille, de trouver des combustibles pour le feu – deux charges très lourdes –  et de la préparation des repas », résume Gisèle qui, en tant que conseillère psycho-sociale, a passé toute sa carrière dans le secteur des ONG, s’occupant des personnes vivant avec le VIH et autres populations vulnérables. « Le ménage ne pourrait pas tourner sans elles ».

Violence et stigma, un lot quotidien

Le rôle des femmes rurales au Burundi demeure néanmoins cruellement sous-estimé, si ce n’est dûment ignoré jusqu’à ce jour : marginalisées et stigmatisées, elles doivent se plier aux décisions de leur mari qui seul a le droit de gérer l’argent et de posséder des parcelles de terre. « Elles ne sont simplement pas écoutées », se lamente Gisèle.

Une situation qui ne peut que laisser un boulevard pour les abus en tout genre : « L’alcoolisme est monnaie courant chez les hommes et la violence domestique extrêmement répandue, obligeant les femmes à vivre dans un climat de peur constante, et laissant de graves séquelles sur les enfants ».

La polygamie pratiquée par de nombreux maris burundais est un autre marqueur des criantes inégalités à l’œuvre. « Il est tout à fait commun pour un homme d’aller loger chez une autre femme pendant un temps, laissant sa femme et ses enfants seuls ; voire de ramener une autre femme dans son foyer principal », Gisèle explique. Cette double épée de Damoclès – la violence physique et l’humiliation d’être reléguée au rang de simple concubine – « pousse de nombreuses femmes à devoir passer la nuit dehors, à l’extérieur de la maison ou dans les bananeraies environnantes », conclut-elle, nous racontant l’histoire d’une femme, maintenant bénéficiaire FXB, qui se voyait contrainte par son mari d’aller chercher, tous les soirs, le bâton pour se faire battre.

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Le droit à l’héritage, nerf de la guerre ?

Analphabétisme, accès limité aux soins et à l’éducation, manque de pouvoir décisionnel : la précarité des femmes burundaises se traduit de milles et une façons, autant de leviers adressés par les programmes de développement économique et communautaire VillageFXB mis en place par FXB, principalement dans la province de Bujumbura Rural. Mais un autre facteur pourrait radicalement changer la donne.

D’après la loi burundaise, les femmes sont privées du droit d’héritage. Pour être propriétaire d’une parcelle de terre cultivable, tremplin s’il en est vers l’autonomie, elles seraient donc obligées de l’acheter – cas rarissime, considérant la mainmise gardée par les hommes sur les finances du ménage. Prisonnières de traditions et d’un cadre légal discriminants, les femmes sont également les victimes collatérales d’un contexte socio-économique sous pression.

Traditionnellement auto-suffisante en termes de production alimentaire, l’agriculture burundaise a entamé un déclin dans les années 1970 et 1980. La situation n’a fait qu’empirer avec le conflit qui, du début des années 1990 aux accords de paix d’Arusha en 2000, a plongé le pays dans le chaos et la misère, accroissant l’insécurité alimentaire via la destruction de cultures et de terres cultivables. Conjugué à de longues périodes de sécheresse, la surexploitation et l’érosion des sols, le déclin de la productivité agricole et surtout à une croissance démographique qui en fait l’un des pays les plus denses en Afrique, le Burundi se trouve confronté à une raréfaction des sols productifs.

Un combat de tous les jours

Face à cette triple barrière de la pression démographique, de la tradition et de la loi, « le droit à l’héritage de la terre pour les femmes est souvent perçu comme un problème plutôt que comme une solution », résume Gisèle. « L’un des leviers les plus importants pour l’autonomisation économique des femmes est donc relégué à l’arrière-plan, malgré l’effort de la société civile, y compris de FXB, pour promouvoir un changement de la législation actuelle auprès de la classe politique ».

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Comme l’illustre la directrice des programmes FXB au Burundi, cette injustice gravée dans la loi a des conséquences directes sur la vie de dizaines de milliers de femmes. « Je me souviens notamment du cas d’Odile », raconte-t-elle. « Après s’être opposée à la vente de leur parcelle de terre – qui, selon la loi, doit être une décision collégiale du couple – son mari s’en est violemment pris à elle, la blessant au couteau au visage avant de prendre le large au Congo ». Du jour au lendemain, Odile s’est retrouvée seule, sans ressources, à devoir subvenir aux besoins de cinq enfants. Sans compter que sa maison a été complètement emportée et détruite par les inondations dévastatrices de 2018.

Mais Gisèle n’est pas prête à se laisser abattre par cette histoire, aussi tragique que tristement banale. « C’est exactement pour des femmes comme Odile, qui font face à toutes les situations possibles et imaginables de marginalisation, de précarité et de stigmatisation que nous œuvrons au pied d’œuvre tous les jours », déclare-t-elle, les yeux pétillants. « Suite à son intégration au programme VillageFXB de Mutimbuzi, Odile a reçu une aide pour reconstruire sa maison, et a entamé une formation qui lui a permis de développer sa propre activité génératrice de revenus dans la vente de denrées alimentaires, grâce au capital de départ fourni par FXB ».

Grâce à un accompagnement de trois ans visant à adresser les facteurs prédominants de l’extrême pauvreté que sont le manque de revenus, la malnutrition, le manque d’accès à la santé, à l’éducation et l’insalubrité, Odile et ses enfants sont sortis de leur condition de misère.

La preuve vivante que, au-delà des grands discours, un simple coup de pouce peut suffire pour briser le cercle de la pauvreté.